Nul ne s'en plaindra : après Kubelik, Fischer-Dieskau et Böhm, Audite inaugure un cycle dédié à Ferenc Fricsay et au RSO Berlin (ex RIAS, puis DSO). Jusque-là inédite, l'exceptionnelle version de la Symphonie n° 5 révélée par ce premier CD est issue du concert qui célébrait en janvier 1957 les dix ans d'existence du RSO Berlin - évoquée avec une ferveur militante dans l'émouvant document parlé capté le jour même. Comparée à sa gravure studio de 1949 avec la Philharmonie de Berlin (DG), elle révèle une évolution assez similaire à celle qui différencie ses « Pathétique » de 1953 et de 1959 (DG également), au profit toujours plus grand de la densité de l'inspiration. L'introduction installe une émotion saisissante, dont les couleurs sombres fixent les contours d'une lecture très dynamique et engagée, portée par ce rythme intérieur palpitant si typique du chef, mais exempt de toute sollicitation, de tout histrionisme, on peut même dire : de toute concession. Une interprétation radicale et juste, grave et profonde (le début du Moderato con anima), qui unit dans le même geste mélancolie et combativité.
Le Concerto pour piano de Schumann, issu d'un concert de 1951, est quant à lui résolument à part - déjà diffusé en vinyle et CD, il trouve ici sa meilleure édition. Pour son ultime et tardif témoignage dans l'œuvre, régulièrement trahi par ses doigts, Alfred Cortot paraîtra de prime abord ralenti, alangui, parfois étrangement solennel. Mais, même ruiné, il de meure ce poète à la sonorité et au toucher hors de pair, aux phrasés qui s'inventent en avançant, capable d'inspirations irrésistibles (la section centrale de l'Allegro affetuoso, cette cadence qui prend vie peu à peu), et aussi de sursauts fulgurants (Allegro vivace, pourtant à deux doigts du collapsus pur et simple au début). Fricsay épouse ses changements d'humeurs et de tempo, ses visions comme ses errances, avec un dévouement absolu... et une virtuosité accomplie. Ce document si magnifiquement imparfait n'efface pas le souvenir des versions officielles laissées par Cortot (toutes trois avec Landon Ronald) ; mais troublant, entêtant, il vous poursuivra longtemps une fois entendu.