Dans sa Première Symponie (1884-1888), Mahler ne s'oppose pas encore au poids formel de la tradition. Extérieurement, c'est, avec la Sixième Symphonie, la plus « traditionnelle » de Mahler, la seule à s'en tenir, dans sa version définitive, aux quatre types de mouvements fixés par Haydn, et l'une des rares à finir dans sa tonalité de départ. Pourtant les contrastes y jaillissent avec une grande violence, les maladresses y sont non déguisées, provocantes même jusqu'à un point où tristesse, dérision et impulsion vers l'idéal ne se distinguent plus vraiment.
Sans doute la plus grande « première symphonie » jamais écrite de l'Histoire, la Première est devenue la plus populaire - mais pas la plus facile d'accès - des symphonies de Mahler. Elle est plus que tout au????butaire d'une clarté très « antiformaIiste », malgré la nécessité sans doute plus architecturale que psychologique d'un finale s'opposant à lui seul au reste de l'oeuvre et imposant, sinon un réel déséquilibre, du moins une certaine rupture e ton. Evité pendant trois mouvements, le schéma romantique du « triomphe après la lutte » intervient au début de ce très long finale, nettement plus dramatique que le reste de l'oeuvre. La Première Symphonie expose sans les résoudre à peu près toutes les tensions de la musique mahlérienne à venir. Les contrastes appartiennent à un univers neuf, où la différence peut fonder l'identité.
Comme dans ses deux versions « officielles », avec la Philharmonie de Vienne (Decca, admirable, à rééditer) puis avec l'Orchestre symphonique de la Radio bavaroise (DG, octobre 1967), Rafael Kubelik, enregistré ici lors d'un concert donné le 2 novembre 1979 à la Herkulessaal de Munich avec l'Orchestre de la Radio bavaroise, conçoit la Première Symphonie « Titan » de façon plus « naturaliste » qu'intellectuelle. Il privilégie, avec un subtil rubato et des tempos plutôt vifs quoique lé????ent plus amples que ceux de l'enregistrement DG -, l'idée de percée, voire de déchirure, qui impose sa structure à l'oeuvre tout entière. Dans le développement du premier mouvement, à la fois puis sant et lumineux, la distanciation douloureuse devant J'éveil de la nature est aussi poétiquement traduite que chez Walter/Columbia (Sony), Ancerl (Supraphon), Horenstein (EMI), Giulini/Chicago (idem) ou Haitink/Berlin (Philips). Kubelik architecture les deux mouvements médians avec un tranchant des ligues, une saveur des timbres qui, pour être moins «cruels » que ceux d'Ancerl, de Bernstein/New York (Sony), de Kegel (Berlin Classics) ou de Haitink/Berlin, n'éludent aucun des aspects allusifs ou acerbes. Dans le finale, magnifique de cohérence, l'interprétation, souple et spontanée, devient plus extérieurement dramatique -c'est l'écriture elle-même qui le veut -, mais le chef parvient à l'unité tout en diversifiant à l'extrême les divers épisodes. Par son absence de grandiloquence, de pathos bon marché et sa, haute tenue stylistique, cette interprétation enregistrée « live » fait mentir la légende de lourdeur et de sentimentalité qui colle à l'oeuvre.